Cadrage théorique

Notre cadre théorique s’appuie sur la Didactique Analytique (DA) et l’observation de la pratique enseignante. 

L'observation non-participante du face-à-face pédagogique

La DA « porte un intérêt particulier sur les savoirs disciplinaires et les savoirs praxéologiques issus de la pratique didactique, voire de l’analyse des pratiques » (Moreno, 2018). Pour la DA, la pratique enseignante constitue une forme de communication, un ensemble d’échanges verbaux et non verbaux visant explicitement l’acquisition de savoirs et de savoir-faire (Mackey & Laforge, 1972). Dans le cadre du P.E.I, la DA est associée à l’activité de réflexion sur la pratique, et les savoirs d’action sont l’un de ses objets d’étude. 

Le terme « savoirs d’action » désigne des connaissances pratiques, acquises par l’expérience et l’observation de leur efficacité, plutôt que par des fondements théoriques formels. Ces savoirs se manifestent dans des actions et pratiques qui « ne se rattachent que très difficilement – et même pas du tout – à quelque théorie et dont la pertinence ne nous est connue que par l’observation de leur efficacité » (Grize, 2011). Ils peuvent précéder ou exister indépendamment de la théorie, comme en témoignent des exemples historiques de techniques réussies sans explication scientifique préalable, telles que le fonctionnement des moulins (Grize, 2011).

La méthode d’observation sélectionnée pour la pratique enseignante s’inspire, quant à elle, de l’étude de l’évolution des différents mouvements et courants qui ont marqué l’histoire de la recherche en éducation. Pour en nommer certains d’entre eux :

évolution des différents mouvements et courants de la recherche en éducation
  • On peut retenir que, dans un premier temps, la recherche s’est intéressée à ce que font les enseignants (le processus), rapporté aux résultats des élèves (le produit). À l’époque, on se limitait ainsi à l’observation des actions et aux comportements de l’enseignant pour savoir s’ils étaient efficaces ou non.
  • Dans un second temps, avec le développement des approches cognitivistes, l’intérêt s’est déplacé vers la pensée des enseignants (aussi appelée « teacher’s thinking » (Tochon, 1993)), et à la façon dont ces derniers conçoivent l’enseignement. Par exemple, certains chercheurs ont pu s’intéresser à la planification pédagogique ou au choix des contenus ou objectifs à atteindre.
  • Avec l’avènement des approches interactionnistes contextualisées (Altet, 2002), les groupes de recherche ont commencé à se pencher sur la description du processus d’enseignement-apprentissage. 
  • Cependant, c’est seulement avec la création du Réseau OPEN (Altet, Bru et Blanchard-Laville, 2012) que la recherche pluridisciplinaire sur les pratiques enseignantes a connu son véritable essor sur le territoire français. Depuis, cette démarche d’exploration de données permet de prendre en compte le contexte situationnel, les pratiques de l’enseignant et l’activité des autres acteurs de l’enseignement-apprentissage.

 

En prenant appui sur ces ancrages théoriques, nous considérons que la transformation pédagogique des pratiques d’enseignement peut s’enrichir au travers de l’observation du face-à-face pédagogique (Ria, 2019 ; Alletru et Vinatier, 2021 ; Altet, Blanchard-Laville et Bru, 2022 ; Wyss, Gvozdic, Gentaz et Sander, 2023). L’observation non participante constitue, à ce titre, une méthode de collecte de données au cours de laquelle le chercheur observe des acteurs dans leur contexte sans participer activement à leurs activités. Cette technique permet de recueillir des pratiques concrètes en observant directement et discrètement le déroulement des interactions et des activités au sein d’une organisation, en minimisant les perturbations aux activités ordinaires. Dans ce cadre, les individus observés sont informés de la présence du chercheur, qui s’efforce néanmoins de se rendre aussi peu intrusif que possible pour réduire l’influence de sa présence sur les comportements observés (Chevalier et Stenger, 2018).

Les entretiens de pré et post-observation

La réflexion sur soi et ses manières d’enseigner est sans aucun doute un moyen intéressant pour faire évoluer son organisation pédagogique et pour adapter ses ressources aux besoins d’apprentissage des élèves. En effet, la pratique réflexive permet à l’enseignant de s’appuyer sur sa « réflexion-en-action », sur son « savoir-en-action » (Schön, 1994 ; Barbier, 1996) pour évaluer sa façon de gérer différentes situations, pour établir des stratégies qui l’amèneront vers l’efficacité et pour les adapter à des cas particuliers. Du point de vue de Schön (1994), l’adaptation et la reformulation de ces stratégies font partie de ce qu’il appelle le « transfert réflexif », qui est réalisé par celui qu’il nomme « le praticien ».

En ce sens, ce n’est pas tant l’observation du chercheur qui permet la transformation des pratiques, mais le dialogue du professionnel sur l’objet qui le permet. Le chercheur doit donc faire en sorte de créer un espace d’échanges et de débat sur les pratiques, avant et après l’observation, dans lequel le professionnel peut « parler métier » sans craindre d’être jugé. Dans cet environnement, il a l’opportunité avec d’autres pairs de redéfinir son activité en la plaçant au centre de la réflexion. Cela leur permet également d’explorer de nouvelles perspectives et d’envisager différentes façons de réaliser ses actions et de passer à l’action (Brière & Simonet, 2021 ; Simonet, Miossec & Clot, 2024).

Grâce à la métacognition, la réflexion sur soi et sur ses manières d’enseigner devient un levier essentiel pour faire évoluer son organisation pédagogique et adapter ses ressources aux besoins d’apprentissage des élèves. Cette démarche, qui consiste en un retour réflexif du professionnel sur les stratégies et combinaisons de ressources qu’il a mobilisées (Le Boterf, in Guillaumin, 2009), permet une prise de recul à la fois cognitive et affective. Par ce processus, l’enseignant renforce sa capacité à piloter son propre développement professionnel.

Barbier et Galatanu (2004) affirment que « dans le domaine de l’enseignement et de la formation des enseignants », la formulation qui explicite le mieux le terme de « praticien » est celle des « praticiens réflexifs » d’Argyris et de Schön (1996) (cité par Barbier et Galatanu, 2004). L’origine de cette dénomination a été attribuée à John Dewey (1933), qui a développé des travaux sur la notion de « reflective action or practice ». Argyris et Schön, quant à eux, ont particulièrement travaillé sur l’épistémologie de l’agir professionnel. En rapport à leurs travaux, Barbier et Galatanu associent l’image de l’enseignant à celle d’un individu « susceptible de produire des « savoirs d’action », de théoriser ses pratiques » (Galatanu, 2014). Du point de vue d’Argyris et de Schön (1996), le praticien réflexif est un professionnel qui réfléchit en cours d’action et sur l’action. Autrement dit, plus les enseignants ont l’opportunité de s’arrêter et d’observer ce qu’ils mettent en place dans leurs pratiques et auprès de leurs élèves, mieux ils peuvent faire évoluer leurs démarches pédagogiques.

Dans le cadre du P.E.I, ce sont les entretiens de pré et de post-observation, ainsi que les ateliers de retours d’expérience (entretien collectif) qui ont été l’opportunité pour les enseignants et formateurs de réfléchir à leur action enseignante et à la diversité de leurs publics. En tant qu’outil de collecte de données, ces entretiens ont permis d’élargir le travail de réflexion associé aux savoirs d’action et, plus largement, à l’agir enseignant. En ce qui concerne spécifiquement les entretiens de pré et post-observation, nous avons choisi de mener des entretiens semi-directifs comme moyen d’explicitation des savoirs d’action, afin d’identifier les outils, les stratégies pédagogiques et/ou les dispositifs d’appui pédagogique mobilisés par les professionnels volontaires pour la gestion de l’hétérogénéité des groupes-classes.